jeudi, avril 14, 2011

Les communautés thérapeutiques: où en sommes-nous?

Colloque international sur les communautés thérapeutiques (Maisons d’hébergement de toutes sortes allant de 1 mois à 30 ans) traitant les personnes souffrant de psychose. Cet évènement s’est tenu les 30 et 31 mars derniers dans un local de Teluq à Québec, et simultanément sur le web à Montréal, Paris, Lyon et Bruxelles.

Que me reste-t-il du Colloque organisé par la communauté thérapeutique de la Chrysalide?

Le sentiment que notre travail dans les maisons a un sens? Que nous ne sommes pas seules à travailler à contre-courant? Que la parole occupe une place prépondérante à l’accompagnement de la crise comme de la psychose?

Toutes ces affirmations et bien plus. Je retiens d’abord la conférence prononcée par Danielle Bergeron, psychiatre-psychanalyste du 388, où il était question de science et de psychanalyse. “La science ne pense pas”, “elle n’a pas d’opinion”. Elle tente de décrire les choses telles qu’elles apparaissent et non comme elles sont réellement. Einstein a déjà dit que l’observateur influence le phénomène observé. Elle pose la question à ceux qui ont fait paraître un article intitulé Centre de recherche Robert-Giffart de l’Université Laval – Psychiatrie et psychanalyse ne font plus un! paru le 6 avril dans le Devoir dans lequel il est question d’invalider la psychanalyse à partir d’une conception populaire datant des années cinquante et dans lequel on affirme ce qui suit: :
« Et la recherche à venir vise à entrer dans le cerveau des patients par l'entremise des nanotechnologies. On se dirige vers l'investigation du cerveau vivant, comme on le fait avec le coeur vivant par la vidéo et la scopie. » Dr Bergeron se demande si ces scientifiques se sont questionné sur l’effet que pouvait produire une telle affirmation sur les personnes souffrant de psychose ! En plus, l’article se termine en demandant de l’argent, toujours plus d’argent !

C’est à cela que la psychanalyse s’intéresse, c’est-à-dire au changement du Sujet à l’étude (le vécu!). La psychanalyse de Freud va faire du censuré son champ d’investigation. Elle va déchiffrer et découvrir son expérience intime. Ainsi, le monde des pulsions, des représentations mentales et des angoisses sera traqué par l’analysant. Souvent, mes amis me demandent de “résumer la psychanalyse de Lacan” en quelques mots. Et bien, Danielle Bergeron l’a fait avec brio et je vous présente ce résumé à l’instant. Pour reprendre son explication, elle relève les trois domaines de l’univers humain selon Lacan. L’Imaginaire (qui relève de ce que l’oeil peut voir – on pense ici à la science!), le Symbolique (ce que l’oreille peut entendre – les entendus!) et le Réel (ce qui relève ni de ce que l’oeil peut voir ni de ce que l’oreille peut entendre – Ce qu’il y a d’exceptionnel dans l’être humain!).

Dans un autre ordre d’idée, j’ai retenu sa définition claire de l’éthique: c’est la responsabilité subjective de l’ACTE dans ses conséquences sur l’humain. Cela suppose un respect inconditionnel de l’autre. L’acte ici est déterminé par l’inconscient. Personnellement, ça m’a pris 5 ans à comprendre cela, alors ne vous énervez pas si vous ne saisissez pas de quoi il s’agit. Je vous invite simplement à entendre ce qui est dit ici.

Danielle Bergeron a parlé de psychanalyse et d’altermondialisation (elle reconnaît l’opinion, le droit de parole de chacun, toutes classes sociales confondues), d’épisodes honteux des sciences humaines (injecter des maladies à des personnes vulnérables dans le but de commercialiser un produit) et questionne sur quelle base certaines personnes ou États se donnent le droit de vie ou de mort sur un être humain et du haut de quel savoir démolissent-t-ils la psychanalyse? Elle nous invite à nous poser la question... Et si c’était moi l’autiste, la personne âgée, le psychotique, le déficient, le prisonnier, le pauvre sur lequel on fait des expérimentations sans aucune éthique?

Une phrase m’a frappé droit au coeur, c’est celle qu’elle rapportait de sa lecture de Kane: “Aucun gène ne commande un comportement”. Une autre phrase qui m’a marqué, c’est celle qui provient d’un psychotique: “Même si on m’enlève tout, il me restera toujours mon esprit.”

En fin d’allocution, j’ai posé la question suivante: “À quoi sert un hébergement pour un psychotique?” Elle a répondu qu’au 388, c’était plutôt un “traitement intensif” dont il s’agissait, mais qu’il y avait des partenaires essentiels comme le Centre de crise qui offrait des hébergements de crise pour traiter la crise et dont l’effet était de “ne pas exclure le psychotique de la communauté”. J’ai souri largement et j’ai regagné ma place.

Durant les deux jours, nous avons eu droit à la perspective québecoise et européenne des communautés de traitement. Ce fût réellement intéressant d’entendre le travail qui se fait dans des maisons d’hébergement qui ressemblent à l’HT par exemple. Beaucoup de mots ont été mis sur l’expérience des intervenants qui accompagnent ces résidants psychotiques.

La notion de “vivre avec” était centrale dans ces maisons d’hébergement.

L’autre conférence qui a eu un effet positif sur moi fut celle de Marcel Sassolas, un psychiatre de Lyon, qui a parlé dans un langage qui s’approche de l’univers du psychanalyste Winnicott: “Ce qui est lui versus ce qui n’est pas lui”. Ce qui veut dire qu’accepter l’épreuve de la réalité, c’est renoncer à l’omnipotence – toute puissance (la dimension magique – dans le sens de “contrôler ce qui se passe à l’extérieur par des motions venants de l’intérieur”) que nous étions nourrisson. C’est précisément ce dont il est question pour le psychotique. Il refuse de perdre cette omnipuissance (Tout contrôler de l’intérieur). Ce qui l’amène à être soit dans une position passive (retrait), soit dans une position d’opposition (rage), dans son mode relationnel, comme pour dire: “je ne suis pas intéressé par le mode de vie que vous me proposez”. Le but visé serait de rendre supportable le renoncement de l’omnipotence. Nous serions près de ce qu’il nomme l’objet transitionnel. Il devra s’investir dans le lieu pour faire ce qu’il définit comme l’expérience d’illusion créatrice. “Créer-Trouver” l’objet transitionnel. Un endroit pour s’investir narcissiquement pour ensuite le quitter. Le message que nous devons lui transmettre ressemble un peu à celui d’une mère pour lui, c’est-à-dire l’orienter vers son progrès (lui pointer ses améliorations).

M. Sasollas parlait de ressources (où les intervenants mangent à la même table qu’eux et où les toilettes sont les mêmes) dans lesquelles le psychotique pouvait se reconnaître un peu, dans le sens d’une relation d’égal à égal. Au fil des années, avec l’usure, il y a un danger que la ressource ou que les intervenants se rigidifient (si le ratio intervenant/résident devient trop grand par exemple ou si la structure demande une rigididification des règles). Il racontait que le respect permanent du cadre faisait naître des conflits et qu’il était essentiel de ne pas les traiter comme des conflits de pouvoir (c’est une mise en acte de la douleur intra-psychique – Nous devenons un obstacle à leur omnipotence). Accepter l’affrontement (respect des règles), sinon on va du côté du déni.

Une autre idée qui mérite d’être soulevée ici passe par la formulation du psychiatre belge Étienne Oldenhove, (auteur du livre Un lieu, un temps pour accueillir la folie) soit l’intervenant “incomplet”. En effet, il apparaît que de ne pas être parfait, tout-puissant, contrôlant se rapprocherait de ce qui pourrait être profitable pour un psychotique. Un intervenant qui ne ferait pas tout, qui ne ferait pas les choses à la place du psychotique qui tarde à les faire, qui laisserait de la place pour l’autre aurait un effet bénéfique sur le lien de confiance. Tout faire ou tout laisser-faire serait comme de disqualifier la personne. Une formule résume bien l’idée: “Savoir leur foutre la paix sans les laisser tomber”.
Pour pallier la difficulté du lien social du psychotique – Il est unique (seul au monde) et Un parmi d’autres (s’effacer complètement), il est de mise de rester “créatif” et ne pas simplement “appliquer bêtement les règles”.

Enfin, le dernier point sur lequel j’attire votre attention, c’est sur celui de l’importance primordiale du travail de “supervision clinique”. En effet, c’est par le biais d’une allocution fort pertinente que la psychanalyste Bernadette Tanguay que a abordé la supervision clinique à travers son expérience en lien avec l’équipe d’intervenant de la Communauté thérapeutique de la Chrysalide de Montréal. Le rôle du superviseur clinique ne se définissait pas en termes d’autorité, d’organisateur ou de patron mais bien en termes de responsable des décisions cliniques. Le superviseur est l’agent facilitateur de la liberté de parole. Il est là pour nous introduire une distance affective des plaintes, des symptômes auxquels sont confrontés les intervenants au quotidien. Il est là pour relancer l’espoir. Pour retrouver le courage et les motifs pour accomplir le travail demandé. Il est là pour remettre en cause les instances nuisibles.

Des mots qui relancent des mots et qui amènent à la créativité et au plaisir qui sont essentiels pour combattre les symptômes destructeurs des résidants qui démobilisent à la longue!

Qu’en dites-vous?

Réagissez en m’écrivant ou en me relancant lorsque vous me verrez! Ce sera un plaisir d’échanger avec vous sur ce que j’ai entendu de vraiment intéressant des intervenants du Québec et d’Europe.